
Faisant parti de l'association de Retro-gaming nommée REPLAY, je me fais un plasir de tout vous dire sur l'Abandonware, cette pratique peu connue qui permet de renouer avec la magie des jeux gracieusement « abandonnés » par leurs créateurs.
Un abandonware
est un jeu « abandonné » : bien qu'il ne soit pas encore tombé dans le
domaine public, personne ne va réclamer de droits pour sa possession ou
sa diffusion. La pratique qui consiste à faire revivre un logiciel tombé
dans l'oubli est propre au jeu vidéo du fait du constant renouvellement
des consoles (5 ans en moyenne), de l'obsolescence rapide d'un jeu (la
commercialisation dans les bacs de certains jeux à l'échec foudroyant
n'est que de quelques mois), et du défi technique (les jeux d'ancienne
génération ne fonctionnent habituellement pas sur les ordinateurs
récents ou les consoles suivantes en raison du changement de normes des
prises, par exemple).

Les abandonwares
représentent un casse-tête légal en raison de la disproportion entre la
durée légale d'une œuvre (logiquement 70 ans) et la durée de vie
commerciale d'un jeu (une dizaine d'années).
Cependant, au vu de l'ampleur du phénomène rétro gaming,
la majorité des éditeurs et des constructeurs de consoles ont mis le
holà à partir de 2006. Les consoles de septième génération (Xbox 360, Wii, PS3)
possèdent leurs propres plateformes de téléchargement de jeux
d'ancienne génération, ce qui signifie qu'il faut désormais payer pour
jouer ce que les "nostalgeeks" avaient l'habitude d'émuler hier avec
"MAME" (pas Michèle Alliot-Marie, hein, mais Multiple Arcade Machine Emulator).
En réaction à cette surexploitation,
certains ayant droits se montrent plus tolérants et acceptent de
partager leurs trésors. Le site LTF Abandonware-France.org rassemble des perles à télécharger légalement: Street Fighter II (1992) et Resident Evil (1996) de Capcom, Mortal Kombat (1992) de Midway, Alone in the Dark (1992) de Infogrames. De nombreuses oeuvres cultes de Sega sont disponibles: Virtua Fighter (1993), Virtua Cop (1994), The Typing of the Dead (1999).
On y déniche meme des classiques indémodables tels Space invaders (1978) et Arachnoïd (1986) de Taito, Wolfenstein 3D (1992) et Doom (1993) de Id Sofware, Duke Nukem 3D de 3D Realms parmi les 1 575 titres disponibles.
D'autres éditeurs vont plus loin et distribuent gratuitement sur leur site web officiels leurs plus anciens jeux, à l'image deCommand & Conquer (1995) de Electronic Arts, The Elder Scrolls I: Arena (1994) de Bethesda Softworks. C'était aussi le cas de Grand Theft Auto (1997) de Rockstar Games, mais
ce dernier a retiré le jeu en vue commercialiser une nouvelle version
sur Smartphones. Dommage, l'altruisme de certains éditeurs n'aura duré
que le temps d'une vaste entreprise de recyclage payant sur les
plateformes d'aujourd'hui.
Comment expliquer le phénomène du rétro gaming et la soif pour les abandonwares ?
N'y aurait-il pas une once de nostalgie dans cet attachement irraisonné
pour des jeux perclus de rhumatismes et d'arthrite ? Les abandonwares
ont gardé l'aura de leur époque, une part d'insouciance et de
fraicheur, loin des titres "AAA", paquebots financiers prévisibles à des
kilomètres. Les studios se lançaient souvent dans des développements
hasardeux, sans crainte de trouver mauvaise place dans les charts. Il
était alors possible de faire un jeu vidéo seul, dans son garage, comme
le prouve Eric Chahi avec Another World, disponible à présent en abandonware.
Puisque tout était à inventer, il
fallait oser, tâtonner, prendre des risques. La fièvre créative,
heureusement contagieuse, semblait emporter la plupart des scénaristes,
game designers, ou développeurs du milieu.
Bien avant les frags en ligne du dernier Call of Duty, on gouttait au multijoueur jouissif de titres comme Double Dragon ou Bomberman.
Et les sensations du jeu en coopération étaient déjà là, le petit grain
de folie en plus. Si la nostalgie embellit, elle n'altère pas la
réalité d'une époque où on pouvait être surpris à chaque instant. Le jeu
vidéo était alors en train de se construire, de se forger une histoire,
et de consolider ses fondations.
Ces fondations, ce sont les Pong, les Pac-Man, les Space Invaders, les Wolfenstein 3D, et autres Alone in the dark.
Ces titres qui sont plus ou moins à l'origine de genres, de
ramifications, et qui ont enfiévré le coeur et les mains de millions de
joueurs. Et dont la flamme brûle aujourd'hui grâce aux abandonwares. La nostalgie pousse à se remémorer certaines sorties événements, qui secouèrent le monde du jeu vidéo. Comme celle de Street Fighter ou bien celle de Metal Gear.
De véritables étapes dans l'histoire de cette industrie, qui ont
chacune, comme beaucoup d'autres, contribué à porter le jeu vidéo un peu
plus haut.

La sphère ludique semblait alors ne
jamais devoir manquer de souffle. Mais son endurance devait-elle durer
éternellement ? Non pas que la créativité ait été aujourd'hui annihilée
par les impératifs de rentabilité, ni que les développeurs contemporains
soient moins talentueux que leurs aînés. Mais tous les genres ou
presque ont été explorés, exploités, parfois jusqu'à la saturation.
Devenu marché de masse, le jeu vidéo
cherche désormais l'efficacité, en se reposant sur quantité de valeurs
sûres, qui parlent à une cible la plus élargie possible. Autrefois
réservé à une frange de hardcore gamers endurcis, il s'est mué en loisir accessible, à la difficulté gommée pour ne pas rebuter le profane.
Si l'arrivée de la 3D en 1994 avait
provoqué un véritable électrochoc, permettant à la fois de transcender
le florilège de licences existantes, et d'en créer d'innombrables
nouvelles, l'élan semble s'être considérablement ralenti. Les années
2000 sont-elles le pendant obscur des années 90 ? Certes non, mais la
nostalgie, elle, fait parfois dire oui.
Cela
dit, il ne faut pas systématiquement incriminer la production ludique
moderne pour expliquer les poussées nostalgiques, et la déferlante du rétro gaming. Si le jeu a évolué depuis toutes ces années, le joueur n'est pas non plus resté le même. En grandissant, le jeune gamer
a vu son regard, et ses attentes changer. Il ne s'émerveille plus à la
moindre occasion, et se lasse rapidement. Le fait d'avoir accumulé les
expériences de jeu, et d'avoir exploré nombre de genres, induit
forcément un regard plus affûté, qui ne saurait se contenter d'avancées
mineures, ou de banalités graphiques. Cette intransigeance vis-à-vis des
productions modernes contraste avec l'émoi subjectif des softs
d'autrefois, auxquels on pardonnait nombre d'imperfections.
La nostalgie se veut ainsi loin de toute
rationalité, parce qu'elle signifie bien souvent se replonger dans son
enfance, et tout ce qu'elle avait d'agréable. Rebrancher sa Master System, ou son Atari 2 600,
c'est tenter de recoller avec ces sensations du passé ; d'en retrouver
la saveur. Qu'importe que ces quelques pixels n'aient pas fière allure,
ou que ces polygones vétustes scintillent de plus belle. Leur aspect
vieillot n'est pas dépourvu d'un certain charme, et il arrive que les
petites musiques parfois binaires qui les accompagnent véhiculent plus
d'émotions que les grandes envolées symphoniques en 7.1 des pointures
actuelles. Ils renvoient à une certaine désinvolture, un temps où le jeu
vidéo, loin de se prendre au sérieux, ne s'appréhendait avant tout que
comme un jeu. Alors, on peste quelque peu devant ces oeuvres modernes
clinquantes, à la dimension cinématographique. Sans son regard d'enfant,
il est plus difficile d'en percevoir la magie. Mais peut-être est-ce
cela, grandir.